dimanche 18 décembre 2016

Critique : Personal Shopper d'Olivier Assayas

Personal Shopper,
paranormale modernité

Alors que Sils Maria (2014) venait de sortir, Olivier Assayas annonçait déjà qu'il écrivait le personnage de son prochain film exclusivement pour Kristen Stewart. Chose promise, chose faite, avec la sortie de Personal Shopper le 14 décembre 2016, dans lequel la jeune actrice américaine, nouvelle muse du cinéaste, incarne le rôle titre. Le long-métrage d'Assayas est une œuvre fascinante et d'une grande richesse.






On peut dire que le cinéma d'Olivier Assayas a connu un changement, une évolution, depuis Sils Maria, mais surtout depuis que le réalisateur a découvert Kristen Stewart et qu'il lui voue une sorte de culte, fasciné par, dit-il, sa « capacité assez rare à incarner la vérité ». « Je pourrais tourner tous les jours avec elle ! C'est quelqu'un qui a une telle palette que je pourrais explorer d'autres dimensions de son talent » (Paris Match).

Les deux films pourraient se concevoir comme appartenant à une même série. Olivier Assayas ne dément d'ailleurs pas la possibilité d'en faire une trilogie dont Kristen Stewart serait le fil conducteur.

Dans l'un comme dans l'autre, Assayas met en scène la modernité, en intégrant à sa narration toutes les nouvelles technologies qui accompagnent notre quotidien. Maureen, le personnage principal incarné par Stewart, est accro à son téléphone portable, qui lui sert à la fois de source d'information et d'outil professionnel. Maureen est une sorte d'alter ego de Valentine, qui utilisait déjà beaucoup son téléphone portable dans Sils Maria. Les deux protagonistes sont des agents de stars, chargé d'un côté de s'occuper du planning et de l'autre d'acheter des vêtements pour la star en question.





Olivier Assayas ancre véritablement ses personnages dans le temps présent, avec une jeune héroïne toujours un écouteur à l'oreille, n'écoutant pas ce qu'il se passe autour d'elle, coupée du reste du monde, repliée sur elle-même. Et ainsi mal dans sa peau. Le cinéaste esthétise la modernité et le côté bling-bling de notre époque, en filmant le brillant des strass et des paillettes des robes touchées et caressées tout du long du film par la jeune héroïne. Kristen Stewart, par ailleurs égérie Chanel, interprète un personnage victime de toutes les illusions qui émergent de la capitale de la mode et du luxe et qui affronte ses démons, au sens propre comme au sens figuré.

Personal Shopper prend par-là la forme d'un thriller 2.0, une version modernisée d'un film de Hitchcock, dont le point culminant est la séquence de dialogues qui s'effectue uniquement et tambour battant par sms, le temps d'un aller-retour Paris-Londres. De nos jours, plus besoin de concentrer l'action dans un seul lieu, le danger nous suit partout et nous épie sans cesse. Il est là, attaché à nous, dans notre téléphone portable.

Que ce soit par l'intermédiaire de messages radiophoniques ou électriques, le fantôme a toujours vogué sur les ondes. Assayas renouvelle le mythe en faisant du fantôme une entité connectée, communiquant par le biais de l'électronique. De cette façon, le réalisateur interroge les notions d'anonymat et de fiabilité de l'information à travers les écrans, de celui du téléphone aux conversations Skype. Sans aucun doute, il sera passionnant de revenir sur le cinéma ultra-moderniste d'Olivier Assayas dans une cinquantaine d'années, car l'auteur ne se contente pas seulement de faire des nouvelles technologies un acteur du film, mais il y recourt comme à des outils narratifs pour raconter son histoire, d'une façon tout à fait innovante.




De Paranormal Activity à Conjuring, il y a une pléthore de films sur le paranormal. Tout comme Woody Allen avec Magic In The Moonlight (2014) et M. Night Shyamalan avec The Visit (2015), Olivier Assayas surfe sur la vague de films d'auteurs qui reprennent le thème du paranormal et du spiritisme tout en s'en affranchissant afin de livrer une lecture originale du sujet. Dans une première partie, le cinéaste fait ressurgir de vieux fantômes du passé lors d'une séquence fantastique, quelque peu déconcertante mais terrifiante, et dépoussière ensuite le folklore pour mieux ancrer l'irrationnel dans le quotidien, avec des scènes de suspens dignes des légendes urbaines les plus angoissantes (se référer aux nombreuses variantes d'une histoire dans laquelle un homme inquiétant indique à sa victime, par téléphone, l'évolution de son parcours, du bas de son immeuble à son appartement).

Personal Shopper brille par l'hétérogénéité des genres et par une richesse multiculturelle rarement atteinte. Le film se lit aussi bien comme un drame psychologique que comme un pur film d'horreur. A cheval sur ces deux pistes, Assayas pousse le spectateur à s'interroger sur ce qu'il voit sans jamais lui donner de clés de compréhension, jusqu'à un final digne d'un polar noir dans lequel tout va à vau-l'eau.

Multiculturel, Sils Maria l'était déjà, avec son intrigue située dans une Suisse où des personnages du monde entier se croisent et se côtoient. Ici encore, Assayas met en scène un monde où les êtres n'ont plus d'attaches, qu'il s'agisse des esprits qui errent d'une pièce à l'autre que des protagonistes qui voyagent d'un pays à un autre. En dressant le portrait d'un lieu unique - après le village alpin de Sils-Maria, notre capitale - dont il restitue avec brio sa splendeur et son dynamisme, Olivier Assayas déploie toute une galerie de personnages qui viennent occuper l'espace, parfois pour un bref instant. Ainsi, on y croise les Allemands Lars Eidinger et Nora von Waldstätten (déjà présents dans Sils Maria, d'autres alter ego ?), le Norvégien Anders Danielsen Lie (Oslo, 31 août) mais aussi le chanteur et acteur français Benjamin Biolay.




Mais surtout, on y suit l'Américaine Kristen Stewart (American Ultra, Welcome to the Rileys) qui occupe la quasi-totalité des plans. La jeune actrice n'a jamais été meilleure et aussi bien filmée que dans l'oeuvre d'Olivier Assayas. Ce dernier est parvenu à cerner la personne et son jeu, et de là découle une collaboration qui paraît évidente. Kristen Stewart, que l'on sait mal à l'aise en public, n'est jamais aussi douée que lorsqu'elle interprète des personnages en quête d'identité. Elle semble trouver dans le cinéma du réalisateur français une sorte d'exutoire. Assayas, quant à lui, semble prendre un véritable plaisir à faire vivre son personnage, à l'habiller et à le dévêtir, à l'enlaidir et à l'embellir, à le suivre dans son intimité, mais tout en laissant croire qu'il ne fait que dresser le portrait d'un personnage préexistant. Car le personnage torturé de Maureen est empli d'un mal-être qui précède à l'histoire, lié au deuil de son frère Lewis.

Avec ses deux derniers films, Olivier Assayas explore de nouveaux registres thématiques et spatiaux. Avec l'ambition de travailler au niveau international, et plus particulièrement européen, et de croiser le plus d'éléments possibles, qu'il s'agisse des personnages, des genres cinématographiques, des références culturelles et historiques qui traversent ses films (dans Personal Shopper, il y a plusieurs références à l'histoire du spiritisme, comme celle à l'artiste suédoise Hilma af Klint) ou encore des différentes nationalités et destinations géographiques.




Après Sils MariaPersonal Shopper est de nouveau une production à l'échelle européenne. Le film est coproduit par la France (CG Cinéma, Arte France Cinéma), la Belgique (Scope Pictures), l'Allemagne (Detailfilm, Arte) et la République Tchèque (Sirena Film).

Avec Personal Shopper souffle un vent de nouveauté dans la production française et, on se plaît à le dire, dans la production européenne. Oeuvre multiforme, la nouvelle création d'Olivier Assayas est un film admirable et d'une grande richesse, qui emprunte le chemin de l'épouvante, si ce n'est parfois de l'horreur pure, pour raconter une histoire captivante et pleine de mystères, menée par une Kristen Stewart toujours aussi fascinante.

Personal Shopper
Réalisé par Olivier Assayas
Écrit par Olivier Assayas
Avec Kristen Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz, Anders Danielsen Lie, Ty Olwin, Hammou Graia, Nora van Waldstätten, Benjamin Biolay...

Sortie le 14 décembre 2016

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