Titre : La Vie d'Adèle - Chapitres 1 & 2
Réalisation : Abdellatif Kechiche
Scénario : Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroix, d'après la bande-dessinée de Julie Maroh
Acteurs : Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche, Jérémie Laheurte, Catherine Salée, Aurélien Recoing, Mona Walravens, Fanny Maurin...
Sortie en salles : 9 octobre 2013
Genre : Drame
Genre : Drame
Synopsis : A 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvre le désir et lui permettra de s'affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve...
Ma critique : LA VIE D'ADELE d'Abdellatif Kechiche (La Graine et le mulet, Vénus noire) est adapté de la bande-dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh. Si le titre a changé, c'est bien parce que le film adopte pleinement le point de vue d'Adèle, présente dans la quasi totalité des plans. C'est par des plans très serrés, parfois trop, que Kechiche nous plonge dans la vie d'Adèle dès les premières minutes, pour une relation très intimiste entre le spectateur et la jeune fille, mais jamais voyeuriste, pas même dans les scènes de sexe évoquées plus bas. Le film dépeint le parcours initiatique d'une jeune lycéenne qui peine à se trouver, influençable et influencée par ses copines et leur discussions sur les garçons, auxquelles elle prend part de façon un peu distante. Elle s'évade dans ses lectures, se goinfre au lieu de manger. Bref, Adèle est une fille simple, qui vit à Roubaix, mais qui a du mal à faire face à son attirance pour une fille aux cheveux bleus, qu'elle croise aux hasards d'une rue.
C'est à partir de là, après un dernier essai avec un garçon, qu'elle va découvrir le désir, le plaisir, la fascination, le trac, la souffrance auprès d'Emma. Toutes ces sensations ne sont jamais dites. Elles transparaissent dans les scènes de dialogues, mais en allant au-delà justement. Le dialogue n'est qu'un artifice, autant relationnel que cinématographique. Kechiche va plus loin que le dialogue. Il nous transmet les sensations des personnages, ou plutôt d'Adèle. En effet, ce sont seulement les sensations d'Adèle que nous percevons, comme lorsqu'elle discute pour la première fois avec Emma dans un bar lesbien, et qu'elle perd le fil de son propos, tout comme le spectateur, trop absorbé par le magnétisme que dégage Emma sur Adèle. N'a-t-on jamais déjà ressenti ces sensations ?
C'est là encore que réside tout le brio du film : le spectateur s'identifie aux personnages, car le film, au-delà de son sujet, traite des sentiments. Le film n'est en rien "manichéen" ou élitiste. Il s'agit bien sûr d'un amour lesbien, d'un amour entre deux jeunes filles, mais qui relève d'une dimension universelle. Le film ne catégorise pas les lesbiennes. Tout hétérosexuel pourra s'identifier au personnage. De plus, après qu'Adèle a assumé son attirance pour Emma, son chemin croisera toujours celui des hommes. En ce qui concerne les fameuses scènes de sexe, elles ne relèvent en rien d'une soit-disante "pornographie" dont certains les ont qualifiées. Ces scènes montrent simplement deux êtres qui s'aiment, comme ils s'aiment lorsqu'ils sont allongés dans l'herbe. Comment raconter les sentiments d'Adèle si l'on ne montre pas tout, si l'on omet une partie de sa passion pour Emma ? La question de la présence de ces scènes ne se pose pas. Mais, même si elles sont aussi biens filmées qu'évocatrices de la passion entre les deux héroïnes, il faut plutôt se poser la question de leur durée et des conditions de mise en scène. Néanmoins, à l'écran, elles fonctionnent, et elles habituent le spectateur au corps d'Adèle, un personnage qu'il connaîtra par coeur, et offrent une image jamais vu de l'acte sexuel au cinéma.
Le film de Kechiche n'est pas qu'un film sur deux homosexuelles, il porte aussi un discours social. Kechchiche pose une distance entre Adèle, prolétaire qui veut devenir institutrice, et Emma, d'un milieu aisé, qui étudie aux Beaux-Arts. Cette distance empêchera toujours un véritable intérêt de chacune pour ce que fait l'autre, surtout du côté d'Emma. LA VIE D'ADELE, d'une durée de 2h53 pour 250 heures de prises, est un film plutôt déprimant, mais dans un sens positif. C'est un film sur les sentiments, les émotions, qui émeut le spectateur autant que le personnage d'Adèle. Il est si bon et rare de découvrir des films aussi émotifs.
Il ne le serait pas sans les deux actrices, Adèle Exarchopoulos (La rafle, Carré blanc) et Léa Seydoux (Grand central, Mission impossible : protocole fantôme), mais aussi sans tous les autres acteurs, comme Salim Kechiouche (Après lui, Paris à tout prix), dans le rôle très intéressant d'un homme qui parvient à cerner le personnage d'Adèle, et qui saura s'y intéresser. Adèle Exarchopoulos, désormais lancée dans le monde du cinéma, est bouleversante, et parvient à capter la véracité de son personnage, notamment à travers deux scènes d'un incroyable réalisme, lors desquelles elle dément des accusations qu'il lui sont faites, d'abord dans un refus de croire à ces accusations, puis dans une éclatante expression de ses sentiments, d'un côté face aux questions de ses camarades et de l'autre côté lors d'une glaçante dispute entre Adèle et Emma. Léa Seydoux est elle aussi unique dans son personnage, et relève par exemple le défi d'évoquer un sentiment mêlé de condescendance et d'attirance pour Adèle à travers un simple sourire, assise sur un banc, dans un parc.
LA VIE D'ADELE est un film brûlant de réalisme, qui relève un défi pas toujours facile, celui d'émouvoir le spectateur, de le faire pleurer, de l'absorber afin de ne plus jamais oublier le personnage d'Adèle, qui aura finalement connu un amour qu'elle ne reconnaîtra jamais, mais qui aura vécu une passion amoureuse inégalable, que le spectateur aura aussi vécu.
Adèle Exarchopoulos (à gauche) et Léa Seydoux (à droite) |
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