dimanche 17 janvier 2016

Critique : The Green Inferno

The Green Inferno,
ou l'enfer du nanar

Après moult complications et une date de sortie maintes fois repoussée, THE GREEN INFERNO, réalisé par Eli Roth, sortait en France le 16 octobre 2015 en e-cinéma. Il vient de sortir en DVD et Blu-ray le 6 janvier 2016 chez Wild Side Video. Roth entend succéder au tout aussi célèbre que répugnant Cannibal Holocaust (1980) de Ruggero Deodato. Finalement, le film tant attendu du réalisateur d'Hostel 1 et 2 a fait beaucoup de bruit pour pas grand chose, car si Eli Roth croit avoir ressuscité le genre du film de "cannibales sauvages" (à distinguer des films de cannibales intégrés dans la société), il a plutôt réinventé le nanar...







Dire que THE GREEN INFERNO est un nanar pourrait relever du compliment. Mais ici, il s'agit d'un "mauvais" nanar. En effet, un nanar est appréciable par l'innocence de son créateur et de ses acteurs, par son humour involontaire. Le film d'Eli Roth manque de cette modestie qui rend ces films sympathiques. Le réalisateur prétend réinventer le genre du film d'anthropophages, et ajoute même à son générique de fin une filmographie non exhaustive du genre (!), niant alors les autres films de ce début de siècle - qu'ils soient bons ou mauvais - comme Cannibal World (2004) ou Welcome to the jungle (2007).

Depuis sa prestation d'acteur désastreuse dans Aftershock (2012), film qu'il avait produit, Eli Roth ne semble pas s'être remis de sa découverte du Chili, là où a été tourné le film et où il a rencontré son épouse actuelle, Lorenza Izzo, puisque depuis il ne jure plus que par ce pays. Sa femme est devenu l'actrice obligée de tous ses films, comme on avait déjà pu le constater avec Knock Knock, un home invasion pas déplaisant sorti en France le 23 septembre 2015. Mais le charme de la jeune femme n'égale malheureusement pas la qualité de son jeu, catastrophique, qui consiste à écarquiller les yeux de façon exagérée pour exprimer toutes les émotions, de la joie à la peur en passant par la stupéfaction.


On retrouve d'autres acteurs chiliens comme Ariel Levy, qui joue lui aussi, tout comme Lorenza Izzo, dans Aftershock, et qui joue tout aussi mal. Le reste du casting ne sauve pas la mise, sans parler de l'improbable participation de la chanteuse Sky Fereira, qui ne sait manifestement que faire une mine boudeuse. Mettre ses copains dans ses films, pourquoi pas, mais de là à compromettre la cohérence de ces derniers, Roth aurait pu s'abstenir, puisqu'au final on se demande pourquoi tous ces bobos new-yorkais ont un accent hispanique.

Peut-être à cause d'une crise de la quarantaine, Eli Roth est devenu un réalisateur ennuyant, qui semble avoir perdu toute son énergie et son humour au troisième degré, qui lui avaient été en partie enseignés par son ami de toujours, Quentin Tarantino. Il ne semble plus chercher à satisfaire ses fans, mais à se satisfaire lui-même. Il met en scène sa femme, ses amis, et se donne bonne conscience en abordant faussement le thème de l'écologie, de la déforestation, et avec un semblant de féminisme. Roth s'efforce à montrer que les "méchants" indigènes mangeurs de chair humaine sont en fait les victimes de la civilisation moderne qui veut les éradiquer. La politique n'est pas son fort, et sa vaine tentative de faire la morale au spectateur en devient aussi gênante que manichéenne.

Le réalisateur dirige ses comédiens comme s'il tournait une comédie burlesque. Chaque acteur s'efforce à jouer la maladresse - pour montrer combien ces petits bobos dans la nature sont détestables, et pour que le spectateur puisse mieux pouffer de rire devant cette soit disant satire d'une génération bien-pensante et hypocrite.


Eli Roth se croit malin en remplissant à moitié, et futilement, le cahier des charges d'un film gore bien réussi. Un bout de pénis par ci, un bout de sein par là pour la nudité, quelques membres arrachés et hop, l'affaire est réglée. Le film est classé R aux États-Unis (interdiction aux moins de 17 ans) et obtient une interdiction aux moins de 16 ans en France. Finalement, il n'y a pas beaucoup de gore, et lorsqu'il y en a, c'est du 100 % gratuit.

Pour couronner le tout, on peut admirer les affreux effets spéciaux dont Roth aurait pu s'abstenir tant ils n'apportent rien à l'intrigue, et qui se passent de commentaires : des fourmis et une araignée en images de synthèse (probablement réalisées par un énième ami d'Eli Roth avec iMovie), un crash d'avion digne d'une série B, voire Z.


Ce qui porte préjudice à THE GREEN INFERNO, un projet en apparence séduisant, est que Eli Roth a pris la grosse tête et, au lieu d'assumer un cinéma d'horreur pur et dur comme il avait pû le faire avec Hostel 1 et 2, il cherche à faire du cinéma "intello" et à prouver au spectateur qu'il est plus malin qu'il n'y paraît. Sauf qu'il y a tromperie sur la marchandise. Alors que Roth vend THE GREEN INFERNO comme l'un des films les plus gore et les plus choquant du moment, son film se révèle être finalement une comédie burlesque en milieu hostile, et un nanar en devenir – qui aurait toute sa place à Nanarland – à regarder à plusieurs pour y déceler toutes les maladresses et les invraisemblances (voir la scène où un rescapé du crash meurt bêtement la tête tranchée par l'hélice encore en marche et que tous les autres protagonistes ignorent royalement). 

Est-ce le signe de la banalisation de la carrière d'un "grand" de l'horreur ? Une carrière qui ne se résume finalement qu'à Hostel 1 et 2, certes bons, mais qui doivent surtout leur succès à un usage racoleur de la violence, repris avec THE GREEN INFERNO. Comme Ruggero Deodato, Eli Roth a peut-être inventé quelque chose, un quelque chose qui repose sur un coup de chance et sur lequel on a construit une légende et un talent que l'on attend à chaque nouveau film. Mais il n'y a peut-être plus rien à attendre d'Eli Roth, pas plus que de Ruggero Deodato, et de ce genre immonde et bête qu'est le film de cannibales sauvages.

The Green Inferno
Réalisé par Eli Roth
Écrit par Eli Roth, Guillermo Amoedo et Nicolas Lopez
Avec Lorenza Izzo, Ariel Levy, Aaron Burns, Kirby Bliss Blanton, Magda Apanowicz, Daryl Sabara...

Sortie le 6 janvier 2016 en DVD

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