mercredi 1 juin 2016

Critique : American Ultra

American Ultra,
le cauchemar américain

Après le succès de Chronicle (2012) de Josh Trank, le scénariste Max Landis, qui n'est autre que le fils de John Landis (The Blues Brothers, Le Loup-garou de Londres), revient sur le thème de la jeunesse américaine avec le sulfureux AMERICAN ULTRA, fable paradoxalement aussi pessimiste que réjouissante sur la société américaine, signée Nima Nourizadeh (Projet X).



La collaboration entre Max Landis, personnage haut en couleurs et auteur de scénarios ingénieux qui a signé des épisodes des séries Masters Of Horror et Fear Itself ainsi que le scénario de Docteur Frankenstein (2015) de Paul McGuigan, et de Nima Nourizadeh, donne naissance à un cocktail explosif intitulé AMERICAN ULTRA. On y retrouve le thème cher à chacun des deux artistes, celui de la jeunesse.

À première vue, le long-métrage ressemble à un film d'action tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Un film léger, qui accumule scènes d'action sur scènes d'action sur fond de bluette sentimentale. En réalité, l'oeuvre est double, avec une dichotomie constante. On aurait tort de prêter à ce film un aspect trop léger et dénué de tout propos. En effet, AMERICAN ULTRA s'inscrit dans une lignée de films "conscients" typiquement américains qui abordent en filigrane les tréfonds de la société américaine et qui ne lésinent pas dans un regard rétrospectif et auto-critique.

Ces films sont les rejetons des grands travers de l'histoire américaine, comme la société de consommation et son Zombie (1978) de George A. Romero, la guerre du Vietnam, ses soldats déshumanisés comme Rambo (1983) de Ted Kotcheff, et son choc post-traumatique évoqué dans L'Échelle de Jacob (1990) d'Adrian Lyne, les attentats du 11 septembre et son Cloverfield (2008) de Matt Reeves, la question des armes à feu et sa saga American Nightmare de James DeMonaco.


Tout en exploitant totalement les ressources du cinéma hollywoodien, avec moult cascades et effets spéciaux grandioses, Nima Nourizadeh, réalisateur britannique d'origine iranienne, critique les revers des États-Unis. Dès son titre, AMERICAN ULTRA montre sans détour qu'il s'agit non seulement d'un film américain, mais d'un film sur l'Amérique. Et qu'est-ce que le terme "ultra" ? Signifie-t-il que le film est plein d'action ? Qu'il est ultra américain ? On apprend en regardant le film qu'un ultra est une personne lobotomisée mise au service de l'État sans son consentement et manipulée sans qu'elle ne le sache, à des fins confidentielles.

Cette idée de lavage du cerveau renvoie au choc post-traumatique ressenti par les vétérans des guerres, particulièrement traumatisantes, du Vietnam et d'Afghanistan, qui ont perdu toute humanité, comme c'est le cas de John Rambo et de Jacob Singer dans L'Échelle de Jacob, qui est sujet à des hallucinations, et comme croit d'abord l'être le jeune Mike Howell dans AMERICAN ULTRA. Adam Wingard (You're Next) abordait déjà ce thème avec le très réussi The Guest (2014), dans lequel un jeune homme revient d'Afghanistan et dévoile une force surhumaine probablement due à la prise de drogues délivrées par l'État dans le but d'endurcir les soldats au front. Le thème de la drogue est récurrent dans les trois derniers films cités, renvoyant à des rumeurs plus ou moins fondées qui laissaient croire que les soldats de la guerre du Vietnam étaient drogués. 

Dans The Truman Show (1998) de Peter Weir, Truman Burbank a une phobie de l'eau - l'ablutophobie - qui l'empêche de partir en voyage. Cette phobie lui a été en vérité imputé par l'État pour l'empêcher de sortir de sa ville et afin de rester l'acteur involontaire de sa propre émission de télé-réalité. Mike est lui aussi programmé et contrôlé par l'État et a quant à lui une phobie de l'avion - l'aérodromophobie - qui l'empêche de partir en vacances avec Phoebe, sa petite amie.


Nima Nourizadeh aborde le thème du désenchantement de la société américaine du point de vue de la jeunesse, par le biais du couple Mike-Poebe interprété par Jesse Eisenberg et Kristen Stewart, dans leur deuxième collaboration, après Adventureland : Un job d'été à éviter (2009) de Greg Mottola et avant Café Society (2016) de Woody Allen. Ils interprètent deux jeunes laissés-pour-compte qui vivent de petits boulots ennuyeux, dont l'absence de parents à l'écran est significative de leur abandon et de leur solitude, et qui se réfugient dans la fumette et le rêve d'un ailleurs inatteignable.

Le couple d'acteurs livre une prestation excellente due à la justesse de son jeu et à la tendresse qui émane de la relation entre les deux personnages. Mike et Phoebe forment un couple aussi sensuel que badass par leur détermination à défendre coûte que coûte leur union et leur bonheur, dont l'énergie est communicative. Kristen Stewart, en pleine ascension dans sa carrière d'actrice, fait preuve encore de sa superbe et renforce l'idée que l'époque Twilight est bien révolue.


Et c'est là qu'on revient à l'idée d'une dichotomie. Nourizadeh raconte l'histoire du couple à la manière d'un film indépendant axé sur les sentiments, avec des scènes intimistes tout à fait tendres et touchantes. Par là, le film rappelle le Horns d'Alexandre Aja (2014). À côté de ça, il nous livre un film d'action jouissif et étonnamment violent, avec des effusions de sang et des exécutions à bout portant dans le cadre, alors que la tendance du cinéma actuel est de suggérer la mort hors-champ. Cette violence graphique participe au propos du réalisateur qui, comme on l'a vu, consiste à dénoncer les travers de la société. AMERICAN ULTRA est une satire de cette société et de la prééminence des armes à feu. Pour mieux en montrer l'hérésie, le film contraste entre les couleurs chatoyantes des vêtements, des colorations de cheveux, des bonbons, des filtres lumineux diffusés sur le visages des acteurs, et celles du sang qui coule à flots et des uniformes austères des ultra, machines de guerre programmées pour tuer.

Le réalisateur réussit le pari de manier l'humour pour mieux faire ressurgir le tragique. Avec ses apparences de comédie, AMERICAN ULTRA est en fait une tragédie, une désillusion du rêve américain dans lequel les faibles sont manipulés par les forts, comme c'est le cas du personnage éponyme dans Rambo. Les ultra croient trouver dans leur seule force physique une raison d'être. Walton Goggings (The Shields, Les Huit salopards), aussi drôle que touchant, excelle dans le rôle de l'un d'entre eux.


AMERICAN ULTRA est un film sur les rebuts de la société américaine. Mais ce n'est pas pour autant une oeuvre totalement pessimiste. Elle assume entièrement son côté léger et remplie le cahier des charges d'une comédie très drôle. Outre une simple satire acerbe et implicite des États-Unis, le film de Nima Nourizadeh est un film plus intelligent et plus ambitieux qu'il n'y paraît, mais qui se laisse tout autant regarder comme un film d'action ultra graphique - Nourizadeh a réalisé de nombreux clips pour Dizzee Rascal, Bat For Lashes ou encore Lily Allen. Cette esthétique clipesque pourrait faire défaut au film si le réalisateur n'avait rien à raconter. En réalité, le film propose trois lectures différentes : un film d'action survitaminé et divertissant, une histoire d'amour touchante et une satire de la société américaine.

American Ultra
Réalisé par Nima Nourizadeh
Écrit par Max Landis
Avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Toper Grace, Connie Britton, Bill Pullman, John Leguizamo, Tony Hale, Walton Goggins...

Sortie le 19 août 2015

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